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Réaction à la parution du livre de Valérie LABROUSSE, les dépossédés, enquête sur la mafia des tutelles : lettre ouverte de l'ANDP

Pour le moment, seul le huffington post a accusé réception : http://www.huffingtonpost.fr/pierre-bouttier/lettre-ouverte-andp-valerie-labrousse_b_5911762.html?1412185776

Madame, Monsieur,

Je souhaite réagir à la parution du livre de Valérie LABROUSSE, Les dépossédés, Enquête sur la mafia des tutelles, paru aux Éditions du Moment en cette rentrée 2014. Le Président de l'ANDP que je suis, anime bénévolement depuis 6 ans l'association des mandataires judiciaires à la protection des majeurs en association, c'est à dire de ces tuteurs et curateurs si lourdement chargés par cet ouvrage, qui exercent en service de tutelle.

Il ne s'agit pas pour nous de nier les faits rapportés dans un réflexe corporatiste, nous avons la politesse de croire que Mme LABROUSSE a mené son enquête avec professionnalisme. Le réflexe corporatiste, pour notre profession, serait bien au contraire de réclamer enquêtes et contrôles pour qu'elle soit purgée des éléments déviants, qui se rendent coupables d'actes délictueux d'autant plus graves qu'ils touchent des personnes vulnérables.

Pour autant nous attirons l'attention de la presse, qui en publie de larges extraits, sur la face cachée de l'emballement médiatique autour de ce type d'ouvrage. L'angle de présentation est manifestement sensationnaliste, les mots (« mafia », « abysses » « victimes », « abus », « charognards »...) sont choisis à dessein pour attirer l'attention et vendre du papier. Les ressorts rhétoriques sont classiques d'une certaine communication médiatique : une approche binaire (bourreaux/victimes, bons/méchants...), l'exemple (la situation singulière) qui vaut principe général (cette situation particulière devient une constante), la théorie du complot (médecins, magistrats, tuteurs, assistantes sociales, tous unis contre la personne vulnérable).
Ce procédé fera vendre du papier, soyons-en sûrs. La dizaine de milliers de professionnels des mesures de protection adultes auront du mal à s'en remettre, mais peu importe : ils sont d'avance coupables. Mais cet ouvrage, comme de nombreuses émissions télévisées sur ce thème ne connaissent que cet angle sensationnaliste et partial.

Dénoncer fait vendre, plus qu'analyser. Cela étant, aucun ouvrage, aucun reportage ayant eu cette visibilité médiatique ne s'est jamais livré à une enquête qualitative sur l'exercice au quotidien de ces mandataires judiciaires et sur les situations de désespoir et les vies brisées auxquelles ils sont confrontés chaque jour.

Nous faisons face au quotidien à des situations de très grande précarité, de profond mal-être psychique, de surendettement, d'appartements insalubres et dévastés, de très grand isolement. Les bonnes feuilles publiées de l'ouvrage font état de situations de délaissement, de spoliation, d'emprise sur l'autre. Mais nous en sommes témoins tous les jours, non auteurs. Un journaliste aura-t-il le courage et les moyens de suivre le travail de professionnels de la tutelle et s'intéresser à ce que porte la profession, constater, analyser et rapporter les réalités dont nous sommes témoins chaque jour, qui sont autant d'existences en marge de la société et dont les tuteurs sont souvent le dernier recours ? Dans la vraie vie, hors des formules chocs, les professionnels de la tutelle qui lisent les lignes publiés et les situations évoquées par Mme LABROUSSE sont parcourus d'effroi. Parce qu'ils ne peuvent accepter que certains collègues se livrent aux comportements et actes rapportés. Mais aussi parce que eux-mêmes sont confrontés au quotidien à de tels agissements et de telles réalités, sans doute infiniment plus nombreuses, dont les auteurs sont la société toute entière : familles, banques, commerçants, voisins, acteurs publics ou privés... Écrit-on pour autant un ouvrage sur « la mafia des familles » ou la « mafia des commerçants » ? Il est plus aisé de désigner un coupable minoritaire et expiatoire des désordres sociaux.

Fin 2010, la journaliste auteure du documentaire Tutelles : nos parents spoliés (diffusé sur France 3) a eu le même angle d'attaque que Mme LABROUSSE : elle souhaitait dénoncer les abus tutélaires. Puisque nous pensions, justement, ne rien avoir à cacher, nous l'avions invitée à une journée d'étude que nous organisions à TOULOUSE et réunissant plus de 150 professionnels de services de tutelle, puis à suivre une collègue sur le terrain, au sein d'une association. La journaliste était immergée dans l'intimité de la profession, a pu promener son micro partout, interroger qui elle voulait. De ces sept jours passés avec des professionnels, il n'est rien resté, ou presque, dans le reportage final : deux minutes à peine, à la portée anecdotique. Par contre, elle a interrogé sans relâche sur l'existence d'abus dans la profession et a du être sincèrement déçue : les collègues faisaient part de leur manque de moyens et de reconnaissance, de leur trop fréquente impuissance à faire face autant qu'ils le souhaiteraient aux situations de misère économique, sociale et médicale auxquelles ils étaient confrontés. Aucune révélation, rien de croustillant. Or, son présupposé était l'existence de nombreux abus. Comme les acteurs ne validaient pas son hypothèse, n'étaient-ils forcément complices, coupables ou dans la défense corporatiste ?

Le traitement journalistique des tutelles ne laisse aucune chance aux professionnels : ils gèrent l'argent, s'occupent de personnes vulnérables et sont tenus au secret parce qu'ils sont dépositaire de vies privées, donc il y a forcément quelque chose à cacher. Si vous recherchez de la spoliation, vous en trouverez forcément quelques exemples (toute profession comporte son lot de malfaisants dont nous ne cessons de nous désolidariser), quitte à négliger l'immense majorité qui travaille tant bien que mal dans des conditions difficiles. Trouvez une brebis galeuse et vous abattrez le troupeau.

Une autre réalité de la profession existe, celle que nous connaissons à l'ANDP et que nous souhaitons faire partager au journaliste qui aura le courage de s'y confronter, sans espoir de sensationnalisme et de gros titres.

Notre site internet affiche clairement les ambitions d'une bonne partie de la profession -et nous ne sommes pas les seuls acteurs du monde tutélaire à parler d'éthique et de garanties. Nos publications sont tout ce qu'il y a de plus publique : ainsi nous écrivons en 2014 dans un projet de charte déontologique, à rebours des proclamations de Madame LABROUSSE :

Le MJPM a pour finalité (…) de promouvoir l'effectivité des droits fondamentaux et libertés individuelles de la personne sous protection juridique.
L'action du MJPM a pour finalité d'action l'intérêt de la personne protégée (…) Il exerce une protection et non un gouvernement de la personne, cherchant à articuler au mieux ses droits, sa liberté, son intérêt et sa volonté.
La faculté de gérer l'argent d'autrui n'est sous aucun prétexte un instrument de puissance ou de domination sur lui ni un levier pour contraindre. L'argent est un moyen de diagnostic, de dialogue, de projet et d'action pour la personne protégée.
Le mandataire assure une étanchéité absolue entre revenus et patrimoine de la personne protégée et les siens propres, afin de garantir un désintéressement personnel dans tous les actes promus ou accomplis dans l'exercice de sa mission.

Serions-nous des faussaires à ce point ?

Faut-il abolir le système tutélaire ? Virer tous les professionnels en poste ? Qui s'occupera de toutes les situations criantes auxquelles nous devons faire face ? Nous serions tentés de dire « chiche »... et de prendre des congés sabbatiques pour observer avec curiosité et délice comment la société française s'en débrouille, de ces laissés-pour-compte, de ces fous, de ces précaires, de ces improductifs coûteux, ces personnes sous influence ou sans emprise -ces termes n'ont rien de péjoratif dans notre esprit nous les entendons souvent qualifier des personnes que nous suivons... Et aucun professionnel que nous connaissons ne paiera jamais l'ISF grâce à son activité (mais émarge entre 1300 et 2000 € par mois selon l'ancienneté) !

Pour ne pas conclure, il ne s'agit nullement de nier qu'il existe des dérives ou des détournements, mais de donner à voir la réalité de la sphère tutélaire. Nous ne nions nullement que nous avons collectivement à améliorer la prise en charge des personnes protégées et les garanties d'exercice de l'activité, nous y travaillons sans relâche. Mais nous rappelons que la tutelle est le symptôme des dérèglements sociaux, non la cause : il y a mesure de protection parce qu'il y a des problèmes, et non l'inverse !

Une fois de plus notre profession est clouée au pilori : nous vous invitons à nouveau, vous, le journaliste qui le souhaiterez, à assister à notre prochaine journée d'étude le 28 novembre prochain à LYON. Il suffit de contacter l'ANDP à cet effet. Vous observerez les tuteurs de l'intérieur, aurez la pleine liberté du traitement de ce que vous y verrez et entendrez... Chiche ?

Le Président de l'ANDP,
Pierre BOUTTIER